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SAISON 2 - NEW YORK
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CHAPITRE 1

– Pourriez-vous répéter votre nom ?

En temps normal, je m’enorgueillis de ne jamais oublier aucun prénom, surtout quand il s’agit d’une belle femme comme cette rousse mutine assise en face de moi. Et pourtant, me voilà en train de retourner tous les papiers posés mon bureau, sans trouver une seule trace écrite de notre rendez-vous ni de son CV. C’est frustrant ; il ne m’arrive de zapper une réunion et, le lundi, je ne prends aucun rendez-vous avant midi.

– Wendy, dit-elle en souriant. Wendy Bannerman. C’est André qui m’a confirmé l’heure de notre entretien. Il m’a dit que vous receviez des candidats toute la journée. J’espère vous impressionner par mon bagage intellectuel, mon excellente conscience professionnelle et mes prodigieuses compétences en informatique.

Elle m’adresse un grand sourire et, tout en se penchant en arrière, croise ses jambes revêtues d’un pantalon en cuir, avant de poser ses mains sur ses genoux.

J’abandonne mes recherches et m’adosse à mon fauteuil en la dévisageant. Cette fille est mince, de taille moyenne, elle a des traits délicats, les cheveux d’un roux éclatant, absolument pas naturel mais qui lui va bien. Sa tenue détonne pour un entretien d’embauche : elle porte un pantalon en cuir, un blazer blanc et un T-shirt imprimé à l’effigie d’un groupe de musique dont elle doit être fan. Les trous de son T-shirt laissent entrevoir la dentelle jaune de son soutien-gorge qui retient – je ne peux pas m’empêcher de le remarquer – une petite poitrine qui pointe. Elle porte autour du cou un collier à clous fermé par un cadenas qui repose dans le creux de sa gorge. Aux poignets, elle collectionne des bracelets en cuir et en argent qui garnissent ses avant-bras jusqu’aux manches relevées de sa veste. Des bagues en argent scintillent à ses doigts tandis qu’elle ajuste sa position sous mon regard. Je baisse les yeux sur ses pieds, la cerise sur le gâteau : des rangers rouges.

Elle hausse les sourcils et incline le menton vers l’avant.

– Me voici, en chair et en os, dit Wendy en se désignant de la main de la tête aux pieds.

J’esquisse un sourire.

– J’aime les femmes qui n’ont pas peur de l’originalité, je réponds, et elle rougit. Eh bien, Wendy, pourriez-vous m’en dire plus sur vous ? j’ajoute en m’accoudant au bureau, le menton posé sur ma main.

Elle s’humecte les lèvres et prend une inspiration bruyante.

– J’ai obtenu une licence en informatique avec mention très bien à l’université UC Davis, en Californie, avant de m’installer sur la côte Est avec mon compagnon qui travaille ici dans une grande agence de communication.

Je fronce les sourcils et l’interromps.

– Laquelle ?

Un de ses sourcils se dresse.

– Pardon ?

Je lui réponds du tac au tac.

–  De quelle agence de communication s’agit-il ?

– Euh… Une des plus importantes.

Un rire m’échappe, je croise les bras.

– Dites-moi le nom de cette agence. Vous ne savez pas pour qui travaille votre compagnon ?

À l’évidence, elle raconte n’importe quoi.

Ses lentilles bleu ciel dissimulent le marron de ses yeux, qu’elle écarquille dès que je mets le doigt sur son mensonge.

– Je ne vois pas pourquoi vous me posez des questions sur mon copain alors que c’est moi qui ai postulé.

Elle essaie de reprendre les rênes de notre conversation, mais je secoue la tête. Devrais-je donner une leçon à cette fille ? Elle n’est pas en âge d’être déjà diplômée d’une université, je parie qu’elle n’a pas plus de vingt et un ans. Peut-être même moins.

– Wendy, je vais être très direct avec vous. Je connais les femmes par cœur. Je sais que vous mentez pour vous donner bonne figure.

Elle écarquille les yeux et déglutit péniblement. Je suis sûr que sa bouche est désormais toute sèche. C’est ce qui arrive quand on est pris en flagrant délit de mensonge.

– Euh… Je…

– Tu n’as pas fait tes études à UC Davis. Je suis à peu près sûr que tu n’es même pas en âge d’avoir une licence.

Elle lève brusquement la tête.

– Mais je suis peut-être un petit génie.

– Ça ne m’étonnerait pas. Je suis plutôt impressionné que tu te sois présentée en prétendant être une candidate. Mais je te préviens, à partir de maintenant, je ne veux que la vérité. Sinon, tu peux prendre la porte, dis-je en désignant celle de mon bureau.

Son expression se radoucit, mais un muscle de sa joue tremble.

– Parker, je ne vais pas tourner autour du pot. Vous ne m’avez pas l’air facilement intimidable.

Je souris, car je vais enfin obtenir la vérité. Je me recule dans mon fauteuil et attends.

– J’ai piraté votre système informatique pour obtenir un entretien. Je sais que vous et vos associés recherchez quelqu’un de persévérant. Dès que j’ai lu le profil du poste envoyé à André, votre chasseur de têtes, j’ai su que j’étais celle qu’il vous fallait.

Je me sens gagné par la colère, mais je m’efforce de rester calme.

– Tu as piraté notre système informatique ?

Cette fois, c’est moi qui hausse les sourcils. La peste !

– Un jeu d’enfant, rétorque-t-elle en haussant les épaules. J’ai contourné vos pare-feu très facilement, sans parler de l’accessibilité de vos fichiers… Je peux vous citer les profits annuels d’International Guy ; je connais par cœur votre numéro de sécurité sociale et, si besoin, je peux aussi réciter ceux de Royce et de Bogart.

– De mémoire ?

Je suis sidéré par le culot de cette fille, mais aussi très impressionné par sa bravoure.

– J’ai une très bonne mémoire visuelle, répond-elle avant de plisser les lèvres.

Elle hausse les épaules, regarde par la fenêtre de mon bureau et poursuit, d’une voix moins assurée :

– Je n’ai pas de diplôme, mais je suis prête à travailler dur. Je n’ai pas de famille, juste un petit ami auquel je suis très attachée. Je suis donc flexible dans mon emploi du temps et je peux partir en déplacement à tout moment.

Sans même s’en rendre compte, elle touche machinalement du bout des doigts le cadenas qui pend à son cou. Elle doit être très attachée à son petit ami – celui qui lui a mis le grappin dessus et porte la clé du cadenas à une chaîne autour de son cou.

– Ça ne te fait pas peur de demander à une millionnaire sa taille de soutien-gorge et de culotte ? je lance.

Le sourire de Wendy me surprend.

– Non. Je peux faire encore mieux que ça.

Je penche la tête pour la regarder droit dans les yeux. Elle m’observe avec ses yeux de biche, mais son regard est loin d’être innocent, au contraire, derrière ses pupilles bleues se cachent les profondeurs d’une âme qui a beaucoup vécu.

Soudain, elle se relève, attrape la sacoche posée à ses pieds et sort un ordinateur portable.

– Qui est votre prochaine cliente ?

J’envisage d’inventer quelque chose, mais je suis curieux de voir de quoi elle est capable, alors je joue la carte de l’honnêteté.

– Probablement Skyler Paige.

Wendy ne sourcille même pas quand je prononce le nom de l’actrice la plus célèbre du moment. Elle se contente de hocher la tête, puis elle s’assied, pose l’ordinateur sur ses cuisses et se met à taper sur le clavier. Elle agite plusieurs fois la tête en se mordant les lèvres. Je regarde la magie qui opère. Les yeux de Wendy brillent d’un bleu encore plus éclatant à mesure qu’elle s’affaire. Elle se redresse et la température de la pièce augmente. Je vois immédiatement qu’elle a trouvé ce qu’elle recherchait : un sentiment de fierté se dégage d’elle. Elle tourne l’écran de son ordinateur vers moi et pointe quelque chose du doigt.

– Voici la liste de ses achats par carte bancaire au cours des six derniers mois. Comme vous pouvez le constater, elle a acheté plusieurs fois de la lingerie chez Wonderbra.

– Ça n’indique rien, à part qu’elle a un penchant pour la lingerie de luxe, je rétorque d’un air amusé.

Wendy secoue la tête, appuie sur une touche de son clavier, et une fenêtre noire surgit à l’écran.

– Voici ce qu’elle a acheté dans la boutique. J’ai piraté leur base de données. D’après les dates, Skyler Paige Lumpkin – qui est, en passant, son véritable nom de famille – fait une taille M pour les culottes et du 90C en soutien-gorge. Pourquoi demander à la cliente quand on peut directement trouver la taille et garantir davantage d’intimité ?

Je pousse un soupir et m’enfonce dans mon fauteuil.

– Tu es très forte. Mais comment peux-tu être sûre qu’elle s’appelle Skyler Lumpkin ?

– Pendant que je piratais la base de données de Wonderbra, j’ai fait des recherches plus poussées sur Miss Paige, qui est née sous le nom de Skyler Paige Lumpkin. Si vous voulez une copie de son acte de naissance, je peux me le procurer.

– J’en reviens pas, dis-je en secouant la tête, pris d’un fou rire.

– Vous voulez que je fasse des recherches sur une ancienne copine ? Sur un de vos associés ? N’importe qui, j’ai les outils pour le faire, ajoute-t-elle avec fierté.

– Tout ça est légal ?

Elle écarquille les yeux et hausse les sourcils sous sa frange rousse.

– Euh… Pas vraiment. Mais je peux vous garantir qu’on ne remontera jamais jusqu’à vous. Je couvre toujours mes arrières, dit-elle avec une pointe de sarcasme. Il suffit que j’appuie sur un des boutons de mon clavier pour que tout disparaisse, comme par magie. Je peux même faire exploser mon ordinateur, si nécessaire.

Elle m’adresse un clin d’œil espiègle suivi d’un sourire.

– Bon sang ! je m’exclame en passant ma main sur mon front.

Wendy se racle la gorge, referme son ordinateur et le glisse à nouveau dans sa sacoche.

– Sauras-tu faire face à trois mecs aux personnalités totalement différentes qui te donneront des ordres, parfois tous les trois en même temps ?

Elle sourit et cligne des yeux.

– Bien sûr.

En moins d’une seconde, ma décision est prise, sans même en parler aux gars, chose qu’il m’arrive très rarement de faire. Bo s’en fiche, mais Royce aura peut-être des réserves. Il finira quand même par me faire confiance.

– Pas la peine de tourner autour du pot. Il nous faut quelqu’un tout de suite. Je t’offre donc le poste, si tu l’acceptes.

Wendy bondit de sa chaise et pousse un petit cri en serrant le poing en signe de victoire.

– Quand puis-je commencer ? jubile-t-elle, les yeux brillants.

– Es-tu disponible tout de suite ? J’ai rendez-vous plus tard avec l’agent de Skyler Paige…

– Tracey Wilson, la patronne de Triumph Talent Agency ? D’après mes recherches, elle est très proche de l’actrice. C’est peut-être même une amie.

– Tu es vraiment très douée, je murmure, un peu sous le choc que la meilleure des assistantes soit venue jusqu’à moi.

Ses méthodes ne sont pas très orthodoxes, mais elle correspond exactement à ce que nous recherchions.

Wendy sourit.

– Je sais, patron. Que voulez-vous savoir sur Skyler ?

Je hausse les épaules.

– Je veux que tu prépares d’ici quinze heures un dossier sur elle, que tu dresses la liste de tous les renseignements que tu considères importants. Je rencontre Miss Wilson à seize heures, ce qui me laissera le temps de le feuilleter avant.

– D’accord. Je suppose que je peux m’installer sur le bureau vide qui se trouve devant votre porte ?

– Belle et intelligente ! Tout ce que j’aime chez une femme.

Je préfère toutefois un peu plus de seins et de fesses, Wendy n’a pas été très gâtée à ce niveau-là.

Elle affiche un petit sourire, les joues rouges. J’adore les femmes qui rougissent, ça en dit long sur leur réceptivité et leur sensibilité. Cependant, loin de moi l’idée de m’engager sur ce terrain avec ma nouvelle assistante. Même si nous couchons occasionnellement avec nos clients, Bo, Royce et moi avons décidé que la personne embauchée pour ce poste resterait inaccessible. Nous souhaitons qu’elle fasse partie de notre équipe, pas qu’elle se transforme en jouet.

– Ne vous fatiguez pas, je suis déjà prise.

Sans réfléchir, ses doigts s’accrochent au cadenas autour de son cou.

– Effrontée ! je m’exclame avec allégresse pour lui montrer que je la taquine.

Bientôt, elle saura faire la différence entre les moments où je rigole et les moments de sérieux.

– Ouais c’est ça ! Bon, je vais m’installer et commencer à sonder la vie de Skyler. Je vais me débrouiller et me familiariser avec les lieux, à moins que vous souhaitiez me montrer quelque chose en particulier ?

Cette fille est trop bien pour être vraie, jeune et rusée comme un renard.

Elle poursuit :

– Puisque vous venez de m’embaucher, je devrais appeler André et lui annoncer que vous avez trouvé quelqu’un, dit-elle en riant.

Que demander de plus ?

– Tu peux effectivement commencer par l’appeler et par annuler tous les autres entretiens.

Wendy se dirige vers la porte de mon bureau, sa sacoche d’ordinateur sur l’épaule. Elle s’arrête juste avant de sortir, une expression de contentement sur le visage.

– Oh ! Il se trouve que je l’ai déjà fait, dit-elle en faisant claquer sa langue.

Puis elle disparaît.

Je viens soit de prendre la meilleure décision professionnelle de ma vie, soit de faire une connerie. Seul le temps le dira.

*
*     *

– Je vous en prie, asseyez-vous, Miss Wilson, dis-je en désignant la chaise devant mon bureau.

J’ai déjà tout appris sur l’actrice pour qui j’en pince depuis toujours, ma future cliente, Miss Skyler Paige, alias Skyler Lumpkin. Notre nouvelle assistante a recueilli une somme hallucinante d’informations sur elle. Jamais je n’aurais pu avoir autant de renseignements sur une cliente sans elle. Wendy m’a préparé le document le plus complet qui existe sur l’actrice avant de s’attaquer à d’autres dossiers en cours pour venir en aide aux gars.

– Merci, Monsieur Ellis, répond Miss Wilson en s’asseyant.

Je l’imite et l’évalue du regard. Dans mon métier, plus vite j’arrive à déterminer le type de femme à qui j’ai affaire, plus j’ai de chances de travailler avec elle. La brune aux reflets de miel qui se tient devant moi a l’air très intéressante. Non seulement elle s’exprime avec diplomatie mais elle a aussi tout l’air d’être une dure à cuire. Son tailleur noir et cher impose le respect. Si bien coupé que c’est forcément du sur-mesure, afin de parfaitement épouser son corps élancé et athlétique. Je lui adresse un petit sourire pendant qu’elle croise les mains sur ses cuisses.

– En quoi International Guy peut-il vous aider, Miss Wilson ?

– Comme je vous l’ai déjà dit au téléphone, le groupe Rolland nous a recommandé vos services. Enfin, pour être plus précise, c’est Sophie Rolland, la patronne, qui m’envoie.

J’acquiesce d’un signe de tête.

– En effet, vous me l’avez dit. Sophie est une femme adorable. Nous avons beaucoup apprécié de travailler pour elle.

Surtout moi. Soudain, l’image du joli corps souple de Sophie vu de derrière surgit dans mon esprit. Il faut absolument que je la rappelle pour prendre de ses nouvelles et la remercier d’avoir fait de la publicité à International Guy.

– Elle m’a expliqué que votre équipe utilise des méthodes peu conventionnelles pour résoudre certains problèmes. Ma cliente, Skyler Paige, traverse une situation difficile et je pense que vous pourriez l’aider.

– Ah ?

Je m’efforce de rester calme et sûr de moi mais, à l’intérieur, je bous rien que d’entendre le nom de Skyler. Le dossier que j’ai lu sur sa vie ne m’a pas aidé à atténuer l’intérêt que je lui porte. Au contraire, ça n’a fait qu’attiser le feu qui brûle en moi.

– Vous savez que Skyler est la jeune actrice la plus prometteuse de sa génération, n’est-ce pas ?

– Oui. Elle est connue de tous. On ne peut pas faire trois mètres sans tomber sur la publicité d’un produit dont elle est l’égérie ou sur un de ses films.

Miss Wilson change d’expression, une forme de détresse qui me surprend pour une femme de son statut. Elle prend une longue inspiration, puis secoue la tête.

– J’ai mis la barre trop haut. C’est de ma faute si elle est comme ça.

– Qu’est-ce qui est de votre faute ? je demande pour qu’elle se confie à moi.

Son langage corporel indique qu’elle a grand besoin de se délester d’un poids.

– Skyler n’est pas capable de jouer, dit-elle d’une traite, comme si elle ne voulait pas le dire.

– Pourtant, je l’ai vue dans plusieurs films et je trouve que c’est une actrice fabuleuse. Je ne crois pas à ce que vous dites, dis-je.

Tracey secoue la tête.

– Non, vous m’avez mal comprise. Elle n’en est plus capable. Elle a perdu sa volonté, son désir d’être actrice. Je l’ai trop poussée, même si c’était elle qui voulait tous ces contrats. Elle en a assez maintenant.

Je pose mes coudes sur le bureau et croise les mains.

– Les burn out sont assez fréquents chez les actrices…

– C’est pire qu’un burn out. Elle n’a même plus envie de continuer sa carrière, elle qui adorait jouer la comédie. Désormais, elle refuse de regarder la télé ou même de quitter son appartement. Les paparazzis se pressent devant chez elle. J’ai déjà dû annuler plusieurs contrats, mais elle a deux tournages qui approchent et on ne peut plus faire marche arrière…

– Je vois.

– Non, vous ne voyez pas, dit-elle d’un ton désespéré. L’annulation de ces deux films pourraient la détruire. Elle perdrait beaucoup d’argent et sa réputation d’actrice en prendrait un coup. Annuler de tels projets, à ce stade, c’est faire une croix sur sa carrière.

– Que peut bien faire International Guy à ce sujet ? je demande, curieux.

J’entrevois par flashes la femme de mes rêves recluse dans sa tour d’ivoire, telle une demoiselle en détresse. Voilà que mon imagination s’emballe.

Le regard de Miss Wilson se fait perçant.

– Je ne sais pas quelle a été la nature de votre prestation auprès de Sophie Rolland, mais vous l’avez grandement satisfaite. Quand je lui ai parlé des difficultés de Skyler, elle a évoqué ses problèmes, après la mort de son père. Elle m’a expliqué qu’International Guy, et surtout vous, Monsieur Ellis, l’avez aidée à surmonter tous ces écueils. J’ai besoin que vous fassiez la même chose avec ma meilleure amie afin qu’elle retrouve sa passion pour son métier d’actrice, elle aime le cinéma plus que tout au monde. Faites tout ce que vous pouvez pour qu’elle redevienne elle-même.

– Et si nous n’arrivons pas à la réparer ?

J’aimerais vraiment résoudre les problèmes de Skyler Paige et comprendre parfaitement ce que Miss Wilson attend de nous. Nos missions ne suivent jamais une procédure toute tracée. Chaque cliente est différente ; ce qu’on attend de nous change à chaque fois.

Tracey plisse les yeux.

– D’après ce que je sais, vous faites toujours le maximum. C’est ce qu’il faut pour Skyler. J’ai bien peur que vous soyez mon dernier espoir. Parmi ses amis, ses collègues… personne n’a su la sortir de sa déprime.

Je remarque qu’elle ne mentionne pas la famille de Skyler.

Je m’enfonce dans mon fauteuil et tourne la tête vers les gratte-ciel de Boston. L’horizon est magnifique au soleil couchant. Les bâtiments en brique paraissent encore plus rouges sous les rayons du soleil qui va bientôt disparaître, la lumière se reflète sur l’étendue bleue du port. Des bateaux parsèment la surface de l’eau. Si seulement je pouvais être là-bas et sentir le vent fouetter mon visage. L’océan a toujours eu un effet apaisant sur moi. J’aimerais bien faire une pause. Je pense alors immédiatement à Skyler. Elle aussi a besoin de faire une pause.

Je me retourne vers Tracey.

– Je vais devoir côtoyer Skyler en permanence, ce qui veut dire que je dois m’installer chez elle. Je suppose qu’elle a une chambre d’amis ?

Elle hoche la tête, le regard plein d’espoir.

– Combien vous prenez ?

– Pour un accompagnement permanent… cent mille dollars la semaine.

– Marché conclu. Il vous faut autre chose ?

– Annulez tous les rendez-vous de Skyler pour les quatre prochaines semaines.

– Mais…

Je secoue la tête.

– Pour pouvoir m’occuper personnellement de Skyler, entrer dans sa tête et rechercher ce qui ne va pas, ce qui lui fait abandonner ce qu’elle aime le plus au monde, il me faut un maximum de temps libre avec elle. Elle ne doit pas crouler sous le poids d’obligations qu’elle finira de toute façon par ne pas tenir et qui pourraient lui donner un sentiment d’échec. Vous comprenez ?

– D’accord, je vais m’en occuper. Vous prévoyez d’arriver quand ?

– Elle semble avoir besoin de moi très vite, mais j’ai des choses à régler avant et il faut que j’en discute avec mes associés. Je vais demander à mon assistante d’organiser mon départ pour vendredi. Nous vous facturerons tous les frais annexes, comme les déplacements, à la fin de chaque semaine.

– Entendu. Je ferai tout le nécessaire pour que Skyler redevienne comme avant.

– C’est très gentil de votre part. Skyler représente bien plus qu’une cliente VIP pour vous, n’est-ce pas ?

– Skyler est comme une sœur pour moi. Je veux surtout qu’elle soit heureuse.

– Ce sera donc le but de ma mission.

Tracey se lève brusquement et me tend la main.

– À bientôt.

– Nous allons nous voir souvent, dis-je en souriant.

La voilà qui esquisse enfin un sourire.

– Vous savez, Tracey, vous êtes encore plus belle quand vous souriez.

Pour toute réponse, elle sourit de plus belle.

– Non ! Que dis-je… (Elle me regarde d’un air interrogateur depuis la porte de mon bureau.) Vous êtes à tomber quand vous souriez.

Elle éclate de rire, me salue et sort de la pièce. Mission accomplie.

J’appuie sur le bouton de l’interphone.

– Wendy, réserve-moi un vol en première classe pour New York vendredi après-midi et un chauffeur. Pour l’instant, je n’ai pas besoin de retour.

– C’est noté, patron.

– Pourrais-tu également donner rendez-vous aux gars dans notre QG habituel ce soir, à dix-neuf heures ?

– Pas de problème. Dans quel bar ?

– Au Lucky’s.

– D’accord. J’envoie tout de suite un mail. J’ai aussi fixé un entretien demain avec eux pour me présenter puisqu’aucun des deux n’est venu au bureau aujourd’hui.

– Ça arrive souvent. Comme je te l’ai dit, tu seras parfois seule au bureau pendant des journées ou des semaines entières.

– Bogart m’a fait comprendre qu’il était trop occupé pour me rencontrer. Alors, je lui ai dit que ses cartes de crédit ne marcheraient pas tant qu’il ne se présenterait pas au bureau. Au début, il ne m’a pas crue, mais au bout de deux heures, il m’a rappelé pour me dire qu’il m’adorait déjà et qu’il viendrait demain pour me rencontrer. Je lui ai expliqué qu’il pourrait de nouveau se servir de ses cartes après notre entretien.

J’explose de rire.

Ce que j’aime avoir une assistante !


CHAPITRE 2

– Tu n’as pas chômé, mon vieux !

De grandes mains chaudes se posent sur mes épaules, à la naissance de mon cou. Je lève les yeux sur la peau d’ébène de Royce qui brille dans la faible luminosité du bar de mon père. Ce mec est toujours rayonnant ; il met forcément quelque chose de spécial sur sa peau. Ou bien c’est de famille. Sa mère et ses sœurs ont elles aussi une peau sombre et éclatante. Vraiment belle. Mais ce n’est pas le genre de compliment que les hommes se font entre eux, alors je me contente d’y penser et de le garder pour moi.

– C’est le moins qu’on puisse dire, dis-je en souriant.

Roy s’installe à la table de notre box, en face de moi, puis il lève deux doigts en l’air à l’intention de quelqu’un derrière moi. Je regarde par-dessus mon épaule, mon père acquiesce avec le pouce.

– J’ai rendez-vous avec une certaine Wendy Bannerman demain après-midi. À ce qu’il paraît, Wendy est ma nouvelle assistante. C’est drôle, je n’ai rencontré aucun des candidats sélectionnés par André, dit Royce en me regardant droit dans les yeux.

Je prends une gorgée de ma Harpoon IPA, une bière locale aux notes citronnées et fleuries que mon père propose en pression et qui est appréciée des clients. Je passe ma langue sur mes lèvres pour essuyer la mousse et dépose ma pinte sur la table, tapotant des doigts sur le verre.

– J’ai embauché Wendy sur-le-champ.

Royce hausse les sourcils, deux barres obliques noires qui m’accusent.

– Comment c’est possible ? demande-t-il sans colère, juste piqué de curiosité.

Il sait que ce n’est pas dans mes habitudes de prendre une décision aussi radicale, surtout quand il s’agit d’engager une assistante qui travaillera pour nous trois. Nous aurions dû nous concerter. Seulement, à maintes reprises, Bo a clairement fait comprendre qu’il ne souhaitait pas participer au recrutement. En revanche, Royce aime que nous prenions ce genre de décision ensemble.

– Cette fille est parfaite. Intelligente. Même extrêmement intelligente, mec. Elle a piraté le site d’une marque de lingerie pour trouver la taille de soutien-gorge et de culotte de Skyler Paige, prouvant ainsi qu’elle n’a pas besoin de poser des questions personnelles aux clientes qui pourraient les mettre mal à l’aise. Et ça ne lui a pris que deux minutes.

– Ça alors ! Deux minutes ? répète-t-il.

Il n’en croit pas ses oreilles.

– En parlant de la future Madame Montgomery, lance Bo en retirant sa veste en cuir avant de l’accrocher au portant de notre box, elle a bloqué toutes mes cartes de crédit en attendant que j’accepte de la rencontrer officiellement

Comme toujours, il s’assied à côté de Royce qui le regarde fixement, le visage impassible.

– Elle a bloqué l’accès à tes comptes ?

Malgré son agacement, Bo se met à rire.

– Je ne pouvais même plus prendre d’essence. J’ai dû emprunter vingt dollars à la poulette avec qui j’ai passé la nuit pour pouvoir ravitailler ma moto.

Roy et moi échangeons un regard avant de dévisager Bo qui, au lieu d’être en colère, semble surtout amusé par la situation, ce qui nous fait éclater de rire.

– Dis donc, tu l’as à la bonne, dit Roy en secouant la tête.

J’essaie de contrôler mon fou rire, la main sur le ventre.

– Wendy est phénoménale : elle dispose de toutes les compétences que nous recherchions, elle peut voyager à tout moment, elle n’a pas de famille, seulement un mec à qui elle est très attachée, dis-je en insistant sur le dernier point.

Bo fronce les sourcils.

– Qu’est-ce que tu sous-entends ? Déjà en train me mettre en garde ?

Roy donne une claque sur l’épaule de Bo.

– Mec, on a dit qu’on ne touche pas aux employées, pigé ?

– J’ai compris. Pas besoin que tu me le répètes, dit-il, presque offensé. Je suis intrigué, c’est tout. Bon, accouche ! ajoute-t-il en me souriant.

Ces deux-là sont pires qu’un groupe de lycéennes quand il y a des potins. D’ailleurs, ce que j’ai à leur révéler est plutôt croustillant.

– Accrochez-vous. Elle porte un collier en cuir fermé par un cadenas. Si je ne me trompe pas, ça veut dire qu’elle appartient à son mec. Il est le seul à avoir la clé.

– Oh ! J’ai besoin de boire un coup, dit Royce en desserrant sa cravate.

J’ai déjà défait la mienne qui pend autour de mon cou.

– C’est coquin, lance Bo en remuant les sourcils comme un adolescent en rut.

Mon père nous apporte notre commande : un verre de whisky pour Roy, une bière en bouteille pour Bo et une Harpoon bien fraîche pour moi.

– Merci, Papa.

Il prend mon verre vide et jette son torchon sur son épaule.

– Vous restez combien de temps à Boston, les gars ? demande-t-il.

– Un petit moment, dit Royce.

– Je ne sais pas, répond Bo à l’unisson.

Et au même moment, je déclare :

– Jusqu’à vendredi.

Roy et Bo se tournent brusquement vers moi.

– J’ai rencontré la patronne de Triumph Talent Agency. Voilà pourquoi je vous ai demandé de venir ce soir.

– Bon, je vous laisse parler affaires, dit mon père. Vous avez faim ? Le cuistot prépare d’excellents sandwichs au porc effiloché ce soir. La viande cuit depuis quelques heures et l’odeur me donne l’eau à la bouche. Je vais attendre le retour de ta mère pour y goûter. Ce soir, elle a la réunion de son club de lecture. Je parie que c’est encore un livre de Kristen Ashley, ajoute-t-il en levant les yeux au ciel.

– Ma mère adore cet auteur.

Ça fait trop longtemps que je n’ai pas mangé avec mes parents. Bientôt, je vais arranger ça.

– Et moi je tire profit de ses lectures romantiques, ajoute mon père en faisant un clin d’œil.

– J’ai faim, pas vous ? je demande pour changer de sujet le plus rapidement possible.

Personne n’a envie de connaître en détail les tendances sexuelles de ses parents. Bo et Royce acquiescent d’un signe de tête.

– Sandwich pour tout le monde. Merci, Papa.

– C’est noté.

Il nous adresse un sourire et retourne derrière le bar.

– J’adore ton père, remarque Bo.

– Génial il est, génial il restera, ajoute Roy.

– C’est vrai.

Nous demeurons quelques instants absorbés dans nos pensées. Je me fais la réflexion que nous approchons bientôt de la trentaine et qu’aucun de nous n’a encore décidé de se ranger. Ça ne m’inquiète pas vraiment. Le travail occupe la majeure partie de notre vie, mais j’aimerais un jour fonder une famille, avoir un petit garçon qui me regarde de la même façon que je regarde mon père.

– Je vous ai demandé de venir ce soir, parce que j’ai obtenu la mission pour Skyler Paige.

J’avale ma salive et m’éclaircis la voix, pas trop sûr de moi.

Roy esquisse un grand sourire.

– Qu’est-ce qui lui arrive ?

– Il semblerait que notre actrice n’ait plus envie de faire de films.

Bo fronce les sourcils.

– Et en quoi c’est notre problème ?

– Son agent, Tracey Wilson, qui est aussi sa meilleure amie, s’inquiète pour elle. Elle dit que Skyler a toujours été passionnée par son métier, que jouer est ce qu’elle a toujours voulu faire. Son amie se sent coupable, elle pense avoir déclenché le burn out de Skyler.

– Quel est le plan ? demande Roy.

– Je vais m’occuper d’elle en continu, m’installer dans sa chambre d’amis et la sortir de ses idées noires.

Bo saisit le dessous de verre calé sous sa bière et me le jette dessus.

– Foutaises ! Tu veux juste te rapprocher d’elle au maximum. Ça fait des lustres qu’elle te fait craquer.

Je secoue la tête.

– Non, mec. C’est bien plus que ça. Elle a totalement perdu goût à sa passion. Qui mieux que nous pour la sortir de cette mauvaise passe ?

– Qui mieux que toi, corrige Roy.

Il pince les lèvres, se retenant visiblement de dire ce qu’il pense.

Je lève alors les mains en signe de reddition.

– Je ne vais pas vous mentir, je suis très intrigué. Évidemment, Skyler a toujours été la fille de mes rêves, mais je ne compte pas m’engager sur ce terrain-là avec elle. Elle a besoin de moi… euh… de nous.

Royce se met à rire en entendant mon lapsus et Bo plisse les yeux.

– T’es sérieux ? Bon, très bien, alors je me réserve la prochaine cliente sexy, dit-il en levant un bras et en pointant son doigt sur moi. Promets-le-moi !

J’esquisse un grand sourire et dégage sa main.

– D’accord. La prochaine cliente est pour toi.

Bo prend une gorgée de sa bière, visiblement apaisé.

– À combien s’élève la mise ? s’enquiert Roy, notre Money Maker.

Cette fois, mon sourire ne me quitte plus.

– Cent mille dollars la semaine, tous frais payés. La mission s’étalera sur un mois. Je dois faire le point une fois par semaine avec Miss Wilson dans son agence.

Roy se frotte les mains.

– Super. Tu me diras si tu as besoin de quoi que ce soit. Je compte rester au bureau pendant les deux prochaines semaines, aider Wendy à prendre ses marques et terminer d’autres missions. Et puis, ma mère n’arrête pas de se plaindre. Elle dit qu’on ne passe pas assez de temps ensemble. J’ai aussi un peu de bricolage à faire chez elle.

– Tu as besoin d’aide ? propose immédiatement Bo. Tu sais, je manie le marteau à la perfection. Et les petits plats de Madame Sterling… ne me déplairaient pas.

Roy se met à rire.

– Tes poulettes ne cuisinent pas assez bien ou quoi ?

Bo pousse un grognement.

– Les deux dernières avaient de beaux seins, elles étaient très généreuses au lit, mais elles ne savaient même pas faire cuire un œuf.

– Zut alors. Tu ferais mieux d’arrêter de traîner dans les bars étudiants et de choisir, pour une fois, des filles de ton âge. D’ailleurs, ma mère me bassine depuis des semaines à propos d’une fille de vingt-huit ans qui fait partie de son club de lecture. Apparemment elle est intéressante, elle aime lire et cuisiner.

Bo fait la grimace.

– Dès qu’on décrit une fille comme « intéressante », c’est mauvais signe. En gros, elle est cheum.

– Quoi ?

Royce lève les yeux au ciel.

– Bon sang !

– Cheum. Elle est moche, quoi. Tu ne connais pas cette expression ? demande-t-il en prenant une gorgée de sa bière.

– Tu es abominable, mon pote. Continue à te taper des gamines qui ne savent même pas cuisiner.

Il sourit.

– Au moins je suis satisfait en dessous de la ceinture.

– Je m’en fiche. Tu n’as qu’à faire leur éducation aussi, tant que tu y es, dis-je avant de poser mon poing au centre de la table. Trinquons à New York et à l’actrice la plus sexy du monde qui retrouvera, grâce à moi, goût à la vie.

Bo pose son poing au-dessus du mien.

– Je veux bien lui redonner goût à la vie moi aussi.

– Éclate-toi, mec ! lance Roy.

– À New York ! je répète en lançant un regard noir à Bo.

J’ai une boule au ventre. Quelque chose d’important m’attend. Je le sens. J’essaie de ne pas y prêter attention et serre mon poing contre celui de mes associés. Me voilà prêt pour la prochaine mission.

*
*     *

Je sors de l’ascenseur au quarantième étage de l’immeuble de Skyler Paige, prends une longue inspiration et répète rapidement un petit speech dans ma tête pour m’encourager. J’observe ma tenue : des mocassins marron Ferragamo lustrés à la perfection, un pantalon bleu marine, une veste Hugo Boss beige, une chemise blanche et ma cravate porte-bonheur Ermenegildo Zegna, jaune avec des rayures bleues. Je me suis regardé au moins un millier de fois dans le miroir ce matin. Je n’avais jamais passé autant de temps devant une glace, sauf quand je prends une femme par-derrière et que je veux lui montrer combien elle est belle.

Même si j’ai déjà porté cette tenue dans laquelle je me sens bien, j’ai quand même demandé à Bo ce qu’il en pensait. Il a répondu : « Fais pas ta mauviette » suivi de « Mets plutôt tes Ferragamo à la place des Calvin Klein ». Bo déteste les chaussures noires que j’avais initialement choisies. Il trouve qu’elles n’ont pas suffisamment d’allure pour un homme comme moi, mais ce sont les chaussures les plus confortables que je possède. Bo ne cesse de me répéter que je représente International Guy à travers mes tenues. La culpabilité finit toujours par avoir raison de moi. Je reconnais pourtant que quand je me suis regardé dans le miroir pour la dernière fois, j’ai vu qu’il avait raison. Les Ferragamo sont beaucoup plus chics et je veux vraiment me présenter sous mon meilleur jour. Comme Sophie Rolland, Skyler Paige est une cliente en or, la crème de la crème pour International Guy. Je n’ai pas le droit à l’erreur.

Une fois de plus, je respire à fond et me répète que Skyler Paige n’est qu’une femme.

Je frappe à la porte. Pas de réponse. J’attends un peu et recommence.

Bizarre. Tracey vient de quitter son appartement, je l’ai croisée dans le hall d’entrée envahi par les paparazzis. Elle n’a pas menti sur ce point : Skyler est bel et bien cloîtrée chez elle.

Je lève la main et frappe à nouveau, plus fort cette fois.

– Qu’est-ce qui se passe ? Tu as oublié ta…

La porte s’ouvre brusquement et de grands yeux marron croisent les miens. La femme la plus belle que j’ai jamais eu le plaisir de saluer tient le battant grand ouvert.

– … clé ?

Ce mot s’échappe de ses lèvres roses en forme de cœur.

Mais ce n’est pas tout ce que je vois. Skyler Paige, la fille de mes rêves, mon fantasme absolu, se tient devant moi à moitié nue. J’en bave. Elle ne porte presque rien : une culotte bleu pâle et un débardeur en dentelle de la même couleur, presque transparent. Ses seins étirent le tissu et ses tétons pointent, pour mon plus grand bonheur.

Elle ouvre grand la bouche et plaque ses bras sur sa poitrine. Je lève les yeux sur son visage et j’essaie d’arrêter de baver.

– Bonjour, je suis Parker Ellis, votre nouveau colocataire, dis-je en désignant ma valise.

Elle écarquille les yeux.

– Alors, Tracey ne rigolait pas ! Vous êtes le fameux gourou de l’inspiration ?

Je lui souris.

– J’ai connu pire comme surnom. Gourou de l’inspiration, c’est plutôt flatteur. Je peux entrer ?

Je hausse le menton en direction du couloir.

Skyler me regarde avec innocence et passe sa langue sur ses lèvres. Mon sexe fait bien plus attention à ce geste que mon cerveau, qui ne cesse d’ordonner à mon corps de bien se comporter.

Seulement, je ne peux pas en vouloir à « la bête » de réagir. Sans surprise, elle se prépare à ce que je la prenne en main, vu que la fille dont je rêve est juste devant moi, à moitié nue.

Skyler garde un bras autour de ses seins et tend son autre main plutôt maladroitement pour me saluer.

– Bonjour, je suis Skyler Paige, dit-elle d’une voix rauque en me regardant de haut en bas.

Heureusement que ma veste est boutonnée au-dessus de mon érection.

Je prends sa main dans la mienne et je sens immédiatement une décharge d’énergie comme ça ne m’est jamais arrivé de ma vie.

– Bordel, je chuchote, le regard braqué sur elle.

Elle écarquille les yeux, et ses pupilles deviennent plus foncées. Incroyable. Je retiens sa main, ne voulant plus la lâcher.

Elle finit par cligner des yeux, réalisant que nous nous tenons encore la main et que nous nous dévisageons sans dire un mot, moi sur le palier, une valise à la main, et elle à moitié nue.

– Je ferais mieux d’enlever quelque chose, dit-elle et elle rougit, toute gênée. Je veux dire, d’enfiler quelque chose.

Elle recule de quelques pas sur le côté et me fait signe d’entrer, ce qui me permet de jeter un coup d’œil à ses beaux seins rebondis.

La porte se referme toute seule et Skyler se tient devant moi, muette. Elle m’observe tandis que je ne quitte pas sa peau de pêche des yeux.

– Skyler, je ne veux pas te froisser, mais il faut vraiment que tu t’habilles. Je reste un homme et… tu n’as rien sur toi, dis-je en désignant son corps à la plastique de rêve. Là, je fais de mon mieux pour me contrôler.

Les mots sortent de ma bouche à contrecœur, sur un ton sévère et direct. Aucun homme ne demanderait à Skyler Paige de se rhabiller, mais pour que je puisse rester professionnel et arrêter de la dévorer du regard, il faut qu’elle se couvre… et vite.

– Je pensais que c’était Tracey, murmure-t-elle.

– J’ai compris. Sauf que ce n’est pas Tracey. Quand une belle fille ouvre sa porte à moitié nue à un homme, ça donne des idées. Et je peux te dire que j’en ai des idées, Skyler. Même plein. Alors, je t’en prie, change-toi, ça évitera que je me fasse virer après avoir essayé de t’embrasser.

Le souffle haletant, cette image envahit mon esprit.

Elle pousse un petit cri avant de lancer un « Je reviens tout de suite » puis je me retrouve face à son joli petit cul rebondi et dénudé.

– Bordel ! je m’exclame une fois de plus en regardant ses fesses nues longer le couloir avant de disparaître.

Ma queue est dure comme de la pierre. Je m’appuie contre une table et reprends mon souffle. J’essaie d’effacer de mon cerveau cette image de Skyler Paige en string.

Bon sang, ses fesses sont parfaites.

Je secoue la tête et me force à penser à ma mère, aux enfants de la bibliothèque, à mon père derrière le bar du Lucky’s, à Bo qui sirote du champagne pendant sa pédicure en France. Cette dernière image fonctionne, mettant immédiatement un terme à mon érection. Heureusement.

Au bout de quelques minutes, me voilà suffisamment détendu pour explorer les lieux.

L’appartement joliment décoré de Skyler est grand. Dans le dossier préparé par Wendy, il n’y avait aucun article de présentation de son penthouse dans des magazines de décoration, comme le font souvent les acteurs pour étaler leur intérieur et leur argent. Je comprends mieux pourquoi. L’endroit où elle habite est loin de ressembler à un appartement témoin.

Face à la baie vitrée qui donne sur Central Park, un immense canapé d’angle avec des coussins colorés. Il est tellement grand qu’on y tiendrait au moins à trois, avec Bo et Royce. Le genre de mobilier qu’on trouve dans les maisons familiales pour passer du temps devant la cheminée et la télé. Je sais pourtant que Skyler vit seule. Une longue table appuyée contre un mur sur laquelle sont posés des cadres dorés et argentés ; des photos de sa mère et de son père avant leur disparition. J’ai lu qu’ils ont eu un accident en mer, il y a quelques années. Je vois aussi des photos de Tracey et de célébrités avec qui elle a partagé l’affiche. Elle a l’air de bien s’entendre avec les autres acteurs des films qu’elle a tournés. Toutes les personnes sur les photos sont connues.

Les gens encadrent généralement des photos de ceux qu’ils aiment et les placent dans des endroits importants de leur maison, la chambre ou le salon.

Je reviendrai plus tard sur cette nouvelle information concernant Skyler, car je décide de poursuivre mon inspection des lieux.

Par-delà une arche se trouve une immense cuisine aux placards blancs ornés de boutons de porte noirs et aux comptoirs en granite qui brillent. Un sandwich pas terminé au beurre de cacahuètes et à la confiture est posé sur le plan de travail. Je m’avance et entreprends de finir d’étaler la confiture sur le pain, puis le beurre de cacahuètes. En voyant ça, mon ventre gargouille. Je n’ai pas encore déjeuné ; les plats proposés dans l’avion n’avaient pas l’air appétissants. Certaines choses laissent encore à désirer en première classe.

– Qu’est-ce que tu fais ? demande Skyler en entrant dans la cuisine.

Elle s’arrête loin de moi, maintenant une certaine distance, mais je sens quand même son parfum à la pêche qui remplit la pièce. Ce qu’elle sent bon !

– Je prépare un sandwich. Je n’ai pas encore mangé et tu étais en train de t’en faire un, sans doute, quand j’ai sonné. Donc, je le termine pour toi.

– Merci, murmure-t-elle.

Je dépose son sandwich devant elle sur le bar. Elle s’installe sur un tabouret en face de moi et pose ses coudes sur le comptoir.

– Tracey dit que tu viens m’aider à retrouver l’inspiration. Je ne sais pas vraiment si je l’ai perdue, en tout cas, je ne me sens pas très bien.

– Tu es malade ?

Elle lève le sandwich à sa bouche.

– Non.

– Tu souffres d’une perte, d’un traumatisme ?

Elle prend une énorme bouchée de son sandwich et mastique en secouant négativement la tête.

– Alors, qu’est-ce qui ne va pas ? je demande en mordant dans le mien.

La confiture se marie parfaitement au beurre de cacahuètes sur ma langue ; ça me rappelle mon enfance, ma mère qui me fait répéter du vocabulaire pour un contrôle. Une belle période de ma vie. Plus simple que maintenant.

Skyler hausse les épaules.

– Je ne sais pas.

– Qu’est-ce que tu sais ? je lui lance du tac au tac pour qu’elle ne réfléchisse pas trop à la réponse.

– Je n’arrive plus à jouer. J’ai vingt-cinq ans et je vais bientôt devenir has-been. Je ne sais plus ce que je veux dans la vie. Je sais juste que je ne veux plus de ça, dit-elle en désignant son corps, puis la pièce autour d’elle.

J’ai le sentiment que ce n’est pas vraiment à son corps ou à son appartement qu’elle fait référence. Non, il se passe quelque chose de plus important.

– Quoi exactement ?

Je commence à y voir un peu plus clair sur le nœud du problème. L’image de soi, la pression de la carrière… ça doit être très dur d’être actrice, surtout au sommet de la gloire, comme elle.

La fille que j’ai devant moi n’est pas Skyler Paige, l’actrice la plus connue d’Hollywood, la bombe du grand écran, celle qui séduit les hommes en un seul regard, brise des cœurs dans les tabloïds, ne porte que des vêtements de créateurs et jette l’argent par les fenêtres. La fille que je vois, c’est Skyler Lumpkin. Une jeune femme de vingt-cinq ans en legging et sweat à capuche, qui doute d’elle-même et se sent déprimée. Une fille adorable coincée par un mode de vie, retenue prisonnière dans son propre corps. Elle a l’air perdue et effrayée.

Je n’ai jamais rencontré une femme qui ait autant besoin de mon aide.

– Je ne veux plus de cette vie, répond-elle comme si c’était un véritable cauchemar.

– La plupart des gens pensent que tu as beaucoup de chance. Une vie de luxe, des hommes à tes pieds, Hollywood qui te fait des courbettes…

– Mais ce n’est pas moi.

Elle passe ses doigts dans ses beaux cheveux, tire sur les racines et les laisse retomber. Évidemment, ils se remettent parfaitement en place.

– Ta vie, ton travail, tout ça fait partie de toi. Je crois que ma mission consiste à te montrer que tu es bien plus qu’une ravissante menteuse.

– Tu penses que je suis une menteuse ? demande-t-elle en retroussant le nez dans la plus adorable des grimaces.

J’ai l’impression de voir un chaton se mettre en colère. Adorable.

– N’est-ce pas l’essence même du métier d’actrice ? Le problème, c’est peut-être que tu en as marre de mentir.

Elle retient son souffle et braque ses yeux sur moi. Je suis sur la bonne piste.

– C’est ça. Tu en as marre d’être Skyler Paige. Dis-moi, ça t’arrive parfois d’être simplement Skyler Lumpkin ?

Elle écarquille les yeux.

– Tracey t’a divulgué mon vrai nom ?

– Non, c’est mon assistante qui l’a trouvé, un petit génie du piratage informatique. Bref, combien de personnes connaissent la véritable Skyler ?

Elle mord dans son sandwich.

– Vu que je me suis perdue de vue, comment quelqu’un d’autre pourrait savoir qui je suis vraiment ?

– Je pense qu’il est grand temps que tu te retrouves.

J’attends qu’elle réagisse. Elle se met à rire sèchement.

– Ah oui ? Et comment comptes-tu t’y prendre pour m’aider ?

– Pour l’instant, je pense qu’il faut qu’on apprenne à se connaître toi et moi, qu’on crée un lien de confiance. Pour ça, je propose de répondre honnêtement à toutes tes questions, tant que je peux t’en poser en retour, dis-je en haussant les sourcils d’un air de défiance.

Ses lèvres frémissent, premier signe d’allégresse que je perçois chez elle. Je considère que c’est déjà une petite victoire. À la fin de cette expérience, j’espère qu’elle arborera un sourire beaucoup plus franc.

– Marché conclu.

Elle prend une grosse bouchée de son sandwich et tend la main. Je l’imite et la serre dans la mienne. Une fois de plus, un courant chaud nous traverse. Je lui souris avant de la relâcher.

– Première question : qui embrasse le mieux à Hollywood ?


CHAPITRE 3

Une fois le sandwich avalé, nous nous sommes installés sur son canapé moelleux pour continuer le jeu de la Vérité. J’ai commencé, en douceur, par lui poser des questions simples sur son travail, sur ses partenaires à l’écran, puis j’ai entamé le véritable interrogatoire.

– Qu’est-ce que tu détestes dans le fait d’être actrice ?

Elle rit froidement avant de se lever d’un bond pour se diriger vers le bar. Elle sort une énorme bouteille de tequila Patrón Silver.

– Pour répondre à ça, il faut d’abord qu’on boive un coup.

J’esquisse un sourire et me relève. J’enlève ma veste et la pose, pliée, sur le canapé. Je défais ensuite les boutons de manchette de ma chemise et retrousse les manches pour plus de confort. J’enlève ma cravate et déboutonne mon col de chemise. Je me sens tout de suite mieux quand je regarde Skyler qui nous sert non pas une… mais deux doses à chacun.

Elle me tend mon verre et nous trinquons.

– Cul sec !

Nous vidons nos verres et, tout de suite après, elle nous en ressert un deuxième et lève à nouveau sa tequila pour trinquer.

Je retiens son poignet avant qu’elle n’avale tout et la regarde droit dans les yeux en levant mon verre.

– À la vérité !

Elle déglutit et hoche la tête avant de porter son verre à ses lèvres.

– À la vérité !

Le deuxième verre me brûle la gorge, une sensation familière qui remonte à loin. Skyler se sert encore deux doses de tequila mais, cette fois, elle prend son verre et s’installe sur le canapé. Les genoux repliés, elle serre dans ses bras un coussin rouge. Le canapé en daim marron foncé est recouvert de coussins rayés, colorés ou à motifs cachemire, de différentes tailles.

– Alors, qu’est-ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?

Elle sirote sa tequila comme si c’était du bourbon.

– Beaucoup de choses.

Je m’installe plus confortablement, suffisamment loin d’elle pour lui laisser de l’espace. Nous sommes encore de parfaits inconnus et la conversation devient plus intime. Je veux qu’elle se sente en totale sécurité, avec moi chez elle. J’ai du mal à l’admettre, mais passer du temps en sa compagnie me paraît tout à fait naturel. Une sensation de paix. Je ne m’attendais pourtant pas à ça quand j’étais encore terrifié à l’idée de la rencontrer, quelques heures plus tôt. Me voilà désormais assis près d’elle, à boire des verres de tequila, pour qu’elle me dévoile ses secrets. J’aimerais découvrir ses fantasmes les plus inavoués, mais nous avons le temps.

– Commence par la première chose qui te passe par la tête, dis-je.

Elle réagit du tac au tac.

– La perfection qu’on attend de moi.

Je fronce les sourcils.

– Dans quel sens ? Quand tu dois te mettre dans la peau d’un personnage ?

J’ai plusieurs hypothèses à l’esprit, mais je ne lui fais part que de la première.

Elle secoue la tête en tirant sur les franges de son coussin.

– C’est justement passer d’un personnage à l’autre que j’aime dans ce métier. Prétendre être une scientifique, une mère, une sœur, une amie, une rock star. Tout ça, c’est exaltant. Le fait de raconter une histoire… qui émeut. J’adore donner vie à une histoire.

– Qui est-ce qui te fait croire que tu dois être parfaite ?

– Les tabloïds, les émissions de télé, les médias, la presse… les réalisateurs. Sans oublier ma nutritionniste, mon styliste, mon coach sportif et même mon agent.

– Tracey ? Pourtant, elle semble surtout vouloir ton bonheur.

Elle pousse un soupir et prend une gorgée de son verre.

– Peut-être. Enfin, je ne sais plus. Tracey gagne beaucoup d’argent grâce à moi, avec les publicités, les créateurs qui m’habillent… Ainsi elle peut mettre la barre plus haut avec ses autres clients. Un véritable cercle vicieux.

– Et qu’est-ce que tu n’aimes pas dans tout ça ?

– Tout. Je déteste faire des publicités, je déteste ne pas pouvoir choisir ma robe. Pourquoi porter du Valentino alors que j’aimerais mettre une jolie robe vintage ? dit-elle en fronçant les sourcils, les lèvres pincées.

– Pourquoi te sens-tu obligée ?

– C’est ce qu’on attend de moi. Sur le tapis rouge, je suis jugée sur ma robe, sur le prix des bijoux que je porte. Les gens veulent voir si j’ai pris du poids, qui est à mon bras, quelles chaussures j’ai choisies, de quelle couleur sont mes ongles, comment est mon maquillage et, enfin, si mes cheveux sont bien coiffés, bien coupés, naturels, brillants. J’aimerais un jour pouvoir me rendre aux avant-premières de mes films dans le seul but de m’y amuser, de profiter de la projection en me disant que… c’était un film drôlement chouette à tourner. J’aimerais être fière de ma performance, passer du bon temps avec les autres acteurs et tous ceux grâce à qui l’histoire a pu être transposée à l’écran. Peu importe ce que je porte ou la façon dont je le porte. On devrait surtout s’intéresser à l’art, à ce qui a été créé. Mais c’est rarement le cas…

Je suis frappé par ce qu’elle vient de dire.

– Tu détestes être sous le feu des projecteurs.

Elle pose les yeux sur moi, puis elle regarde son verre. J’esquisse un sourire, car j’ai vu juste. Elle n’a même pas besoin de le dire. J’avale d’un trait la tequila, et le liquide explosif fond dans mon ventre. Au lieu de me demander mon verre, Skyler approche la bouteille et le remplit, puis elle se sert une nouvelle fois. Elle repose ensuite la bouteille sur la table.

Elle passe sa main sur ses cuisses fines et musclées tandis que j’ajuste ma position en me penchant en avant, le coude sur les genoux, afin de donner un peu plus d’espace à mon sexe.

– Pourquoi tu n’as pas de mec dans ta vie ? je lui demande, avide de savoir.

Une femme comme elle… seule. C’est presque un outrage.

Skyler prend un air renfrogné et porte le verre à ses lèvres.

– Qu’est-ce qui te fait dire que je n’en ai pas ?

Je me mets à rire, attrape mon verre puis je m’adosse contre le canapé, écartant les bras pour être plus à l’aise. Elle observe mon visage, son regard balaie mes cheveux châtains et ma barbe de trois jours. Bo s’imagine que je le copie en laissant pousser ma barbe, mais il m’a dit que ça m’allait bien. Bien sûr, j’en ai profité pour me moquer de lui ; je l’ai traité de gay parce qu’il m’avait reluqué et il m’a dit d’aller me faire voir.

– Parce que ça fait longtemps que je ne t’ai pas vue au bras d’un homme dans la presse à scandale. Depuis le beau blond que tu fréquentais il y a longtemps, Rick Pettington.

Son visage montre de l’irritation.

– Beurk ! On ne sortait pas vraiment ensemble. Son agent avait demandé à Tracey de lui faire une faveur. Rick avait besoin de s’afficher avec une actrice de mon rang pour un rôle. En gros, je lui ai permis d’avoir une meilleure réputation en l’accompagnant à une soirée. Après, il a obtenu le rôle qu’il voulait et il est parti sur son tournage. Il m’écrit de temps en temps, dit-elle en haussant les épaules.

J’essaie de me persuader que cet abruti ne continue plus à lui envoyer des messages.

– Intéressant, dis-je entre mes dents. C’était le même scénario avec Johan, le mannequin qui t’a accompagné partout pendant un an ?

Cette fois, elle pâlit.

– On est restés ensemble dix-huit mois. Eh non, ce n’était pas du tout le même scénario, dit-elle d’une voix fluette, les larmes aux yeux.

– Je suis désolé, Sky.

Je me rapproche et passe mon bras autour d’elle. Au début, je sens qu’elle est toute raide, mais elle finit par se détendre et se blottir contre moi.

– Je ne veux pas parler de Johan.

Sa voix laisse transparaître son malaise ; voilà un terrain glissant sur lequel je ne souhaite pas m’aventurer.

– Sujet sensible ? je demande plutôt maladroitement, puisque c’est assez évident.

– Ce mec m’a utilisée et je n’ai pas envie d’en parler.

Je ravale ma salive et retiens l’envie de pousser un grognement. Ça ne l’aiderait pas à aller mieux. Au lieu de ça, je caresse son épaule et respire son odeur fruitée. Sans même y penser, je rapproche mon nez de sa tête et inhale son parfum plutôt… bruyamment.

– Tu viens de me renifler ou j’ai rêvé ? demande-t-elle en reculant la tête, son visage encore à quelques centimètres du mien.

Je lui souris.

– Je pourrais mentir et dire qu’il s’agit d’une coïncidence.

– Tu m’as reniflée, répète-t-elle en riant. Beurk !

Elle pousse sur mon torse pour s’écarter, mais je ne la laisse pas s’éloigner. J’éclate de rire et l’attire vers moi, ne pouvant pas m’empêcher de la toucher. L’alcool fait effet, je perds mes inhibitions aussi vite qu’une étudiante qui tombe le haut de son bikini pendant un spring break à Miami.

Elle écarte une mèche rebelle de mon front.

– Pourquoi c’est si facile de te parler alors que je n’arrive jamais à me confier à personne ?

Elle pose sa main sur ma joue et je m’y appuie, caressant sa paume avec ma barbe.

– Ça me fait des chatouilles, chuchote-t-elle avant de se rapprocher un peu plus.

– Peut-être parce que je ne suis pas là pour te juger. Je suis là pour t’aider à retrouver qui tu es.

– Pour m’aider à retrouver l’inspiration.

Ces mots sortent de sa bouche alors que j’enroule une main dans ses cheveux et prends la peau douce de son visage dans l’autre.

– Non. Te retrouver toi, Sky. Tu t’es un peu perdue en route. Une fois que tu te seras retrouvée, ton inspiration reviendra aussi.

J’observe le mouvement de sa gorge tandis qu’elle avale sa salive et s’approche encore de mon visage. Nos lèvres ne se trouvent plus qu’à quelques centimètres. Je peux sentir son haleine imprégnée de tequila, mais aussi son parfum de pêche. Il embaume l’air avec une telle intensité que je dois fermer les yeux. Je tire un peu plus sur sa nuque.

– Je vais t’embrasser, Sky.

– Pourquoi ?

– Parce que tu es la fille la plus belle du monde et que tu sens la pêche. Tu fronces le nez quand tu n’es pas sûre de toi et c’est absolument… adorable, dis-je en caressant son nez avec la pointe du mien, à deux doigts de poser mes lèvres sur les siennes. Ce que je vois devant moi contredit tout ce que montrent les médias.

– Tu ne me connais pas.

Elle prononce ces cinq mots contre mes lèvres et ses ongles s’enfoncent dans ma cuisse, prouvant qu’elle souhaite, quant à elle, mieux me connaître.

– Je compte bien y remédier, je chuchote contre sa bouche avant de presser mes lèvres contre les siennes.

Elle gémit, ouvre la bouche, juste assez pour que je puisse y glisser ma langue. Je penche sa tête sur le côté, écarte davantage ses lèvres et prends ce qui me fait tellement envie depuis que j’ai posé les yeux sur elle. Je ne parle pas du moment où elle m’a ouvert sa porte à moitié nue. Non, je parle du jour où j’ai découvert son sublime visage sur la couverture de Teen Vogue, il y a dix ans.

Notre baiser s’enflamme. La passion mêlée à l’alcool accélère tout. Je n’ai pas le temps de m’en rendre compte qu’elle est déjà sur moi, son entrejambe frottant mon sexe de la plus délicieuse des façons. J’ai placé une de mes mains sur ses fesses, l’autre est sur sa nuque pour pouvoir prendre sa bouche.

Ensemble, nous perdons le contrôle. Nos gémissements, halètements et grognements ont quelque chose d’animal. Je remonte ma main en la faisant glisser sur ses côtes puis je la pose sur son sein. En réponse à mon geste, elle se colle contre mon érection et déboutonne ma chemise avant de prendre mon téton dans sa bouche.

Je reviens soudain à moi, réalisant que je viens tout juste de la rencontrer. Nous n’avons fait que boire quelques verres de tequila et manger un sandwich au beurre de cacahuètes.

Au grand désarroi de mon sexe en rut, je décide d’écouter ma raison. Je passe mes mains sous ses bras pour la soulever et l’empêcher de continuer.

– On ne peut pas faire ça, lui dis-je brusquement en caressant ses bras nus.

Elle porte le même débardeur que quand elle m’a ouvert la porte. Le sweater qu’elle avait enfilé s’est rapidement retrouvé par terre.

Skyler passe ses mains dans mes cheveux et tire sur les racines, renversant ma tête en arrière. Son regard de braise me dévisage avec sensualité, ses lèvres sont rouges de tous nos baisers, ses joues roses et ses cheveux épais totalement décoiffés.

– Mon Dieu, que tu es belle !

– Pourquoi tu as arrêté ?

Elle se penche en avant, m’embrasse, me mordille les lèvres avant de les lécher.

Je pousse un grognement et l’agrippe fermement par les hanches.

– Bon sang, tu me rends dingue. Complètement dingue !

– Alors, soyons fous.

Elle sourit et frotte son corps sexy contre le mien. Il m’est presque impossible de la remettre debout, mais je finis par le faire.

De l’espace. Il nous faut de l’espace.

– Skyler, tu vois bien que j’ai très envie, mais…

Elle pose sa main sur mon entrejambe et sourit.

– J’ai remarqué ton gros machin.

Gros machin ?

C’est de la « bête » qu’elle parle. Waouh ! Adorable.

Je saisis ses mains et les coince derrière son dos, puis je presse mon front contre le sien.

– J’aimerais calmer le jeu. Continuer à apprendre à te connaître, t’aider à surmonter tes problèmes.

Elle se met à rire et coince son visage dans mon cou pour m’embrasser et me lécher.

– Sky, nous devons être raisonnables.

Chaque fois qu’elle presse ses lèvres sur mon cou, je sens des frissons de plaisir parcourir mon corps. Ma queue frémit et m’incite à la prendre.

Sky s’obstine.

– Être raisonnable, ce serait baiser sur-le-champ pour me faire oublier mes peines, dit-elle, le regard brillant. Et puis merde ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?

Usant d’une force incroyable, elle arrive à libérer ses mains et les pose sur mes épaules, puis elle fait un bond, passant ses jambes autour de ma taille pour que je l’attrape par les fesses. Elle presse sa bouche contre la mienne et y introduit sa langue avec tant de rapidité que je suis forcé d’abdiquer.

Je la porte jusque dans sa chambre. Elle rit aux éclats quand je m’écroule sur le lit et qu’elle retombe sur moi. C’est là que les choses se compliquent. Sa main s’attaque à mon pantalon pendant qu’elle me prend à pleine bouche.

Dès qu’elle glisse sa main dans mon caleçon et qu’elle entoure ma queue toute dure, je pousse mes hanches vers l’avant, transi de plaisir. Sa main est chaude et forte, elle glisse sur ma longueur et caresse mon extrémité avec le pouce.

– Putain, je grogne en poussant dans sa main.

– Hmm, c’est vraiment un gros machin.

Elle me mord les pectoraux, puis elle caresse mes abdos avec ses lèvres. Sa langue glisse sur mes muscles et je comprends qu’elle cherche à atteindre mon entrejambe.

La fusion de l’enfer et du paradis.

– Non, Sky. Ce n’est pas possible.

Elle lève la tête, ses cheveux me chatouillent le ventre.

– Pardon ? Aucun homme n’a jamais refusé que je le suce, dit-elle en se relevant, les sourcils froncés. Je sais que tu as envie de moi, ajoute-t-elle en désignant la bosse qui gonfle ma braguette.

– Tous les hommes ont envie de toi.

Je recouvre mon sexe et recule. Nous avons vraiment besoin de prendre nos distances.

– Alors, qu’est-ce qui ne va pas ?

Elle s’humecte les lèvres. Je meurs d’envie de la saisir par le cou et de rapprocher sa divine bouche de mes parties.

– Skyler, je ne veux pas te faire l’amour sous l’emprise de la tequila. Le jour où je le ferai, tu n’auras pas bu, tu auras passé la meilleure journée de ta vie et tu me regarderas avec émerveillement.

Elle lève les yeux au ciel, comme si elle ne me croyait pas.

– Ça m’étonnerait.

– C’est la vérité. Ce qui se passe entre nous, c’est beaucoup plus que ce que j’avais imaginé. À peine quelques heures après t’avoir rencontrée !

Elle passe sa main dans ses cheveux et affiche une grimace.

– Tu insinues que je suis une fille facile ? dit-elle en penchant la tête d’un air de dégoût.

Je secoue brusquement la tête.

– Non, pas du tout. Ce que je voulais dire, c’est que je ressens beaucoup de choses pour toi. Des choses que je ne peux pas t’expliquer sous l’effet de la tequila. Et je sais que tu ressens la même chose.

– Tu parles comme une fille, rétorque-t-elle avec désinvolture, les bras croisés.

Là, c’est son côté « garce » qui fait surface et la rend tout aussi sexy.

Je ris et me déplace pour poser un pied par terre.

– Skyler, je veux que tu profites de ce qui se passe entre nous. J’ai été engagé pour t’aider. Apprendre à te connaître fait partie de ma mission.

Elle esquisse un grand sourire, glisse jusqu’à moi et passe une jambe par-dessus mes cuisses pour me chevaucher.

– Je trouvais justement qu’on apprenait à se connaître d’une façon très agréable.

Je ferme les yeux quand ses lèvres se posent sur les miennes. J’embrasse Skyler Paige pendant longtemps. Je savoure chaque centimètre de sa bouche, suce sa langue, lèche ses dents, grave cet instant dans ma mémoire. Ses doigts caressent mes cheveux, ses ongles s’enfoncent dans mon crâne. Des frissons torrides remontent le long de ma colonne. J’enlace son dos, car j’ai besoin de la toucher, de la tenir tout contre moi. Elle a l’air d’aimer rester assise sur moi et me laisse l’embrasser avec fougue.

Notre baiser dure une éternité. Quand je finis par reculer la tête, nos lèvres sont toutes meurtries, chaudes et gonflées. Sky ne semble plus aussi vorace qu’avant. Elle a les yeux mi-clos, ses paupières sont lourdes.

– Je vois, tu tombes de sommeil.

Je l’embrasse et elle bâille.

La retenant d’une main, je soulève sa couette de l’autre. Elle me laisse faire, décidée à se coucher.

Bon sang.

Quand je la dépose sur les oreillers, elle murmure :

– Pantalon…

J’inspire brièvement. Tu peux le faire, Park. Tu as enlevé des tas de pantalons dans ta vie. Skyler n’est qu’une belle femme de plus.

Sauf que non. C’est Skyler Paige, nom d’un chien ! La fille de mes rêves.

Ma détermination finit par reprendre le dessus, je saisis l’élastique de son legging et le fais glisser le long de ses jambes. Apparaît alors la culotte bleue qui m’a fait saliver.

Voilà. C’était facile. Je jette le collant au bout du lit et remonte la couette pour la recouvrir. Elle ouvre les yeux et m’attrape par le poignet.

– Ne pars pas. Reste avec moi.

– Skyler…

– Je t’en prie, reste. On ne fait que dormir.

Sa voix frise la supplication ; je ne comprends vraiment pas pourquoi.

Fatigué, enivré par le désir et l’alcool, j’acquiesce d’un signe de tête, la mâchoire contractée. Je fais le tour du lit, enlève mon pantalon et ma chemise, les dépose sur son legging au bout du lit. Skyler observe chacun de mes gestes, elle écarquille les yeux quand je me retrouve à moitié nu.

– On ne fait que dormir.

Je me glisse dans le lit.

Elle sourit et blottit son visage contre son oreiller, comme une petite fille satisfaite d’avoir eu ce qu’elle voulait.

Adorable.

– Bon…

J’éteins la lampe de mon côté et pousse un long soupir, le cerveau en ébullition.

Comment ai-je pu me retrouver dans le lit de Skyler Paige ?

Pourquoi ai-je laissé les choses s’emballer ?

Bien sûr, je connais la réponse: parce que j’en pince pour elle depuis toujours. Je compare chaque femme que je fréquente à sa beauté. Et maintenant, j’ai goûté à sa peau, à ses lèvres, j’ai senti ses seins, ses fesses bien fermes, et voilà que je me retrouve dans son lit alors qu’elle est presque nue et que je prétends être raisonnable.

Skyler roule sur le côté, coince son genou sur ma cuisse et enlace mon ventre.

Ma raison s’envole par la fenêtre.

Je passe mon bras autour d’elle et pose une main sur sa hanche. Mes doigts caressent sa peau douce. Elle se blottit contre moi, son souffle chaud contre mon torse.

– Merci d’être venu, Parker. Je t’aime bien, murmure- t-elle d’une voix enfantine et baignée de sommeil.

– Moi aussi je t’aime bien, Sky.

Ne pouvant plus me retenir, je presse mes lèvres sur sa tempe pour un tendre baiser. Elle soupire à nouveau. Tenant dans mes bras la plus belle femme de New York – et sans doute du monde –, je ferme les yeux et je m’endors.

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